Les histoires de zombie sont à la mode, on frise même la saturation. Le film récemment sorti s’inspire de ce très prenant livre, mais hormis le thème (les zombies attaquent et la société ne s’effondre pas totalement) et quelques bonnes idées il n’y aucun rapport. Non, je n’ai pas vu le film mais j’ai lu cette très longue critique de Nioutaik, écrite au napalm, et je me sens autorisé à faire le parallèle.

Contrairement au film qui narre les aventures d’un représentant en produits capillaires [1], le livre est qu’une suite d’anecdotes et témoignages de survivants de tous les horizons, sans lien direct. Le panel est très large : politiques, militaires de tous bords, anciens petits et gros trafiquants, mères de famille, enfants, etc.

Bizarrement, dans un film de zombies, il ne faut pas s’attacher aux personnages : on sait qu’ils vont tous y passer. Mais pas ici, puisque les narrateurs sont des survivants d’après-guerre (il est clair d’entrée que l’invasion zombie a été repoussée et que le monde est en ruines). On peut alors s’intéresser à eux : ce sont leurs tripes qui parlent.

Le livre n’est pas trop américano-centré, ça change. Si les USA ne sauvent pas le monde, ils tiennent quand même beaucoup mieux le choc que les Russes ou les Chinois. Chaque pays s’en sort différemment (ou pas) : Islande, Cuba, Corée du Nord...

Comme dans tout film d’horreur, on sent le plaisir de l’auteur qui se paye la tête de ses lecteurs, passifs bourgeois aveugles à leur hallucinant niveau de confort — qu’ils vont perdre. Les pages sur les militaires américains obligés de lâcher leurs F22 et leurs rayons de la mort pour se limiter au fusil et la pelle valent le détour. Les habitants des autres pays n’en sortent pas tous grandis non plus. Certains passages semblent surréalistes, comme des guerre civiles, voire atomiques, en pleine invasion mondiale. D’autres histoires redonnent la pêche, certaines désespèrent.

World War Z est bien plus optimiste que la (très bonne) BD Walking dead [2], même si on y retrouve un thème commun : en cas d’effondrement de la civilisation, le principal danger ce ne sont pas les zombies, mais parfois les autres survivants. Ici la civilisation ne disparaît pas, on est même relativement proche du « même quand la situation est désespérée, avec de l’intelligence et de la gniaque on s’en sortira » (oui, il y a un passage sur la propagande de guerre), même si les gâchis est monstrueux.

Évidemment, dans le monde réel, personne ne croit aux zombies, le concept n’a aucune plausibilité et il est étonnant qu’il ait tant de succès. World War Z est donc un excellent exemple de « suspension d’incrédulité », puisqu’il est intelligemment construit, décrit des comportements humains souvent très rationnels, et n’en appelle pas qu’à nos peurs enfouies dans un but distrayant — du moins au premier abord.

Dans notre civilisation plus fragile que jamais, se poser la question de nos comportements collectifs et individuels en cas de très gros pépin ne peut être que salutaire. C’est peut-être le premier livre sur les zombies qui soit un tant soit peu optimistes sur nous, au moins sur le long terme. (D’un autre côté on ne fait ni bon film ni bon livre avec des pompiers qui éteignent les feux à temps.) Fautes d’ennemis vraiment identifiables (communistes, Japs, nazis...), avons-nous à présent besoin de nous inventer une menace encore plus incroyable que des extraterrestres ? Depuis Wells, l’envahisseur venu des étoiles est usé jusqu’à la corde, et n’offre pas le même niveau de mal pur qu’un zombie issu de nos propres rangs. Les zombies sont presque indestructibles et immortels (ah, ces zombies paumés qui se réveillent au dégel ou attaquent les scaphandriers dans les grands fonds !), n’ont aucune hiérarchie, ne se rendront jamais et il faudra les abattre jusqu’au dernier.

Étonnamment, il y a un point commun avec une vieillerie comme les Croisés du comos de Poul Anderson, où c’est le plus stupidement agressif qui l’emporte sur le civilisé pacifique et embourgeoisé.

Les témoignages des victimes des zombies ou des soldats de la reconquête rappellent furieusement certaines des plus glauques heures de la Seconde Guerre Mondiale. Avons-nous besoin de fiction pour nous rappeler ce genre d’horreur ? Est-ce plus « réaliste » parce que situé dans notre monde actuel ? [3]

Bref : excellent bouquin, plus profond qu’il ne paraît au premier abord, et difficile à lâcher. Je ne regrette pas l’impulsion d’achat. Je l’ai lu en français, et les annotations sur quelques références culturelles américaines ne sont pas de trop. Évidemment ce n’est pas pour enfants.

Notes

[1] Comme l’explique Nioutaik dans sa critique, il est clair que Brad Pitt ne sert qu’à convaincre ces dames à suivre leur mec dans une salle noire voir un film d’horreur.

[2] Jamais vu la série télé.

[3] Je suis en train de lire Bloodlands, livre d’histoire récente à dix mille morts par page, et il me faut bien reconnaître un certain sentiment d’irréalité...