Comme beaucoup de gens de ma génération, et de celle d’avant, j’ai été nourri à Tintin. Je crois qu’à part Tintin chez les Soviets (retiré de la série par Hergé) et Les sept boules de cristal (dont le squelette en milieu d’album aurait paraît-il risqué de faire peur au petit garçon que j’étais), mes parents avaient l’intégrale de la série. Mon père raconte encore que, quand il sautait les passages assez ardus d’Objectif Lune sur la description du fonctionnement d’une pile atomique, je protestais et exigeais qu’il y revienne.

Plus grand, j’ai relu toute la série, y compris les versions originales d’avant-guerre des premiers albums, dans l’édition semi-luxe que s’était offert mon grand-père. Chaque album était précédé d’un commentaire historico-politico-culturel - qui remonte à pas loin de 80 ans maintenant. Ce fut une révélation : chaque album prenait une dimension supplémentaire en connaissant son contexte ! Inestimable pour un fana de l’Histoire comme moi ; un peu comme découvrir le sens caché d’un roman à clé. Comparer l’ambiance et la structure entre les différents albums, voir évoluer le petit monde autour du personnage principal, est un plaisir. À présent, la moindre requête sur le web ramène une masse fascinante d’informations historiques sur les albums pour qui veut creuser.

Petit résumé de tintinophilie historique :

Les albums d’apprentissage

  • Tintin au pays des Soviets est publié en feuilleton à partir de 1929, puis en album. Il sera renié par Hergé lui-même.
    Il est le fruit du travail presque bâclé d’un presque débutant, sans aucun plan ni intrigue construite ni le moindre recul. Le Petit Vingtième, supplément pour enfants d’un journal belge, le Vingtième Siècle, est plutôt conservateur, et Hergé lui-même un boy-scout issu de la petite bourgeoisie. L’anti-communisme primaire qui se dégage est inspiré par ce milieu - mais finalement la réalité du régime de Staline n’était elle-même pas loin de cette caricature. La documentation d’Hergé consiste principalement en Moscou sans voiles de Joseph Douillet, la relation du long séjour d’un consul belge en Russie puis URSS.
    Hergé fera tout pour limiter les rééditions de cet album d’apprentissage.
  • Tintin au Congo sera redessiné après-guerre, et expurgé de ses pires clichés qui tenaient du colonialisme le plus paternaliste et raciste. Le Congo belge à cette époque sort d’un terrible épisode d’administration directe par le roi, et n’est que depuis peu géré par la Belgique même. Le missionnaire que rencontre Tintin est une réalité : les prêtres représentaient la quasi-totalité du système éducatif local ! Le pays avait également beaucoup souffert des combats en Afrique de la Première Guerre Mondiale - si dérisoires nous paraissent-ils comparés à ceux d’Europe. Les Belges avaient établi une sorte d’apartheid et recouraient au travail forcé.
    Hergé n’est pas plus allé au Congo belge qu’en URSS, et sa documentation est de seconde main. Là aussi l’intrigue est très sommaire (suite de sketchs initialement parus en feuilleton).
  • Tintin en Amérique, toujours paru initialement dans le Petit vingtième à partir de 1931, aligne lui aussi cliché sur cliché sur l’Amérique, notamment celle d’Al Capone (nommément cité) - on est en pleine Prohibition. Les Indiens ont droit à leur part : après que Tintin ait découvert du pétrole, ils sont expulsés de leur territoire. Pays neuf en expansion rapide, l’Amérique du début du siècle fascine les Européens, malgré la crise économique des années 30.

À suivre…